La Reyne de Bâton a la beauté androgyne du désir universel. Asexué en essence, il touche tous les êtres quel que soit leur genre ou leur inclination. Elle brûle de tous les feux de la passion, la Reyne de Bâton. Et cela se voit. Sa tunique rouge tumescent est le théâtre vivant de ses désirs incandescents. Les méandres des plis de sa robe dessinent des motifs charmants ou obscènes selon le point de vue. Les libertin(e)s y discerneront pénis, phallus, vulves et vagins. Les poètes y verront des îles, des fruits de mer, des moiteurs et des turgescences... Et les indignés s'indigneront de tant de vulgarité. Ses mains sont l'extension manifeste de ses talents et de ses compétences. Elle allie dextérité, habileté et délicatesse qui en font tantôt une artisane experte et une orfèvre... et tantôt une séductrice et une manipulatrice hors pair. Dans la droite, le gourdin brut du Valet s'est muté en olisbos martial dont le bouton stimule son bas-ventre. Et dans la gauche, une fourchette anxiogène singe peut-être une castration. Sa couronne royale doublée d'une branche de laurier blanc et le bouclier posé à ses pieds sont les mises en abîme de sa parenté avec l'Impératrice dont elle incarne la puissance créative et sexuelle. Pour les besoins de la cause, Lucrèce Borgia s'est prêtée au jeu de la Reyne de Bâton. Sa légende sulfureuse illustre, sans doute, les penchants obscurs de cette carte : cruauté, vénalité, débauche et perversité. Pourtant, la mémoire de ce personnage historique fait l'objet de tentatives de réhabilitation. En l'occurrence, c'est son statut de protectrice des arts et des lettres qui donne à notre Reyne de Bâton ses quartiers de noblesse. D'après "Vanité", Frank Cadogan Cowper (1877 - 1958)